Premier voyage
Pour Ernest Laffiche, c'est le premier départ pour Terre Neuve, nous sommes en 1955, il est mousse.
Né d’une famille agricole modeste, j’ai fait toutes mes études jusqu’au certificat à l’école libre (catholique) du village. Un oncle, ancien terre-neuvas qui a fini sa carrière sur le René Guillon (dernier voilier terre-neuvas de Saint-Malo) me dit d’aller voir le syndic de Saint-Suliac. Après de nombreuses démarches, c’est donc le 5 mars 1955 que j’embarquais pour la première fois.
C'était aussi la première fois que je mettais les pieds sur un bateau. Le "Groënland" sur lequel j'embarquais étant un chalutier d’avant guerre, propulsé par un moteur de 700 chevaux (la moyenne des puissances était de 1000 chevaux), était complètement dépassé techniquement. J’allais m’en apercevoir rapidement.
Ce navire possédait deux grands postes d’équipage à l’avant avec une vingtaine de couchettes chacun, chauffés avec un poêle à charbon au centre. En qualité de mousse inutile de préciser que nous avions la couchette qui restait et donc pas toujours la mieux placée.
Pour le mousse, durant la traversée, le travail consistait à aller chercher la gamelle à la cuisine, alimenter le poêle à charbon (la cuisine et la réserve de charbon se trouvaient à l’arrière ce qui rendait difficile le ravitaillement lorsqu’il fallait traverser le pont par gros temps), nettoyer le poste et remplir les aiguilles à ramender. Les ramendeurs montaient les chaluts dans les cales ; avec les fortes odeurs de cales les conditions étaient réunies pour le mal de mer. C’est dans ces conditions que je passais mon temps : tantôt au travail, tantôt à prendre l’air et même quelques fois allongé sur le panneau de la cale avant. Dans cette position, il nous arrivait d’avoir la visite du second qui se manifestait par un coup de pied au derrière.
Comme je le mentionnais plus haut, notre navire était dépassé techniquement et c’est au bout de 18 jours de traversée que notre chalut fut mis à l’eau pour la première fois au Chenal du Flétan (banc situé dans le sud de Saint-Pierre à environ 150 milles. Ce fut aussi le premier contact avec le métier grandeur nature.
Une fois les bordées organisées le travail du mousse se précisait : la gamelle à aller chercher et son lavage, le nettoyage du poste, le poêle à charbon à alimenter et le lavage des morues dans les bailles. Si la promiscuité dans les postes n’était pas toujours évidente, il fallait y ajouter l’odeur des poissons grillés sur le poêle ce qui enfumait tout le monde et était sujet à des conversations orageuses. Les spécialistes pont (ramendeurs, saleurs, trancheurs) avaient un poste réservé pour eux sur l’arrière du navire (poste plus confortable et bénéficiant du chauffage central) et qu’elle ne fut pas ma surprise d’être nommé comme mousse au service de ces spécialistes ce qui du coup me rendait la vie plus facile et plus confortable. ...
Vous retrouverez ce récit, au complet, dans notre Journal de Bord du mois de Décembre 2005.