Les conditions de vie
Cette chronique a été rédigée par Auguste Lancelin et éditée par la presse de sa région en plusieurs morceaux. Ce radio terre-neuvas connu et estimé de tous nous a hélas quitté en 1998. Son épouse nous autorise à publier ce magnifique témoignage sur notre métier de Terre-Neuvas. Pour lire l'intégralité de cette chronique, consultez nos "Journaux de Bord" de l'année 2006.
Terre-Neuve n’est pas une île ensoleillée, entourée de plages de sable fin, baignée par une mer turquoise, paradis pour touristes en mal d’exotisme. La mer est bleue, verte, changeante, suivant le ciel et les latitudes. A Terre-Neuve, la mer est livide, sinistre 300 jours par an, noyée dans un brouillard intense et située sur la route des tempêtes tropicales affublées d’un joli prénom féminin par les météorologues américains. Les tempêtes prennent naissance sous les tropiques, se dirigent vers les Antilles, s’incurvent vers le nord-est en direction des bancs de Terre-Neuve où elles sèment l’effroi parmi les équipages pratiquant la pêche dans leurs petites embarcations appelées « doris ». Ces tempêtes achèvent leurs courses en Islande.
De nos jours la navigation de plaisance bénéficie d’une grande vogue. Nous sommes pourtant aux antipodes de la vie exténuante et cruelle que vivaient les marins de Terre-Neuve.
De nombreux écrivains ont décrit l’horreur de ce métier : Pierre Loti, Roger Vercel. A ces auteurs, je préfère me référer aux témoignages émouvants, vécus, du Révèrent Père Yvon (aumônier des marins) et des capitaines Convenant et Récher. Les titres à eux seuls sont éloquents : « bagnards de la mer », « galériens des brumes », « le grand métier ».
Fin septembre, début octobre, les grands voiliers ont retrouvé leurs postes à quai dans les bassins de Fécamp et Saint-Malo après une campagne éprouvante de 7 mois. Les équipages ont enfin retrouvé leurs familles après un travail harassant et dangereux de 15 à 20 heurs par jour. Un séjour de plusieurs mois ne sera pas de trop pour se refaire une santé.
Mais le marin ne restera pas inactif car les vacances n’existent pas. Il pratiquera la petite pêche côtière ou s’occupera des gros travaux de la terre, car souvent sa femme exploite une petite ferme pendant son absence.
L’hivernage est mis à profit pour restaurer les navires qui eux aussi sont fatigués. Une activité débordante règne dans les ports. Tous les corps de métier : voiliers, peintres, forgerons, calfats, charpentiers, gréeurs sont sur les dents.
Actuellement Fécamp et Saint-Malo depuis la disparition des grands chalutiers sont des villes mortes. Les bassins sont envahis par des petits bateaux de plaisance qui ne sortent que quelques fois par an. Quel contraste avec l’activité d’antan.